
SARL de vétérinaires : le tribunal de commerce est compétent, même pour une profession libérale
Contexte juridique et portée de l’arrêt
Par un arrêt du 28 mai 2025 (n° 24-14148), la chambre commerciale de la Cour de cassation vient de trancher une question qui concerne toutes les professions libérales réglementées exerçant en société de droit commun : quelle juridiction est compétente en cas de litige entre associés ou avec la société ?
La réponse de la Cour est claire: lorsqu’une profession libérale réglementée –ici, des vétérinaires – est exercée sous la forme d’une SARL (et non d’une SELARL), c’est le tribunal de commerce qui est exclusivement compétent, malgré la nature civile de la profession.
Cette décision éclaire les zones d’ombre d’une législation imparfaitement harmonisée et impacte de nombreuses professions libérales.
Les faits et la procédure
Une SARL exerçant une activité de vétérinaire était composée de deux associées, également cogérantes. L’une d’elles est révoquée de sa cogérance. Estimant sa révocation abusive, l’ancienne cogérante assigne la société devant le tribunal judiciaire pour obtenir réparation de son préjudice.
La société soulève l’incompétence du tribunal judiciaire au profit du tribunal de commerce. La cour d’appel de Montpellier rejette cette exception, considérant que le tribunal judiciaire était compétent « compte tenu de la nature principalement civile de la profession de vétérinaire exercée par cette société même sous la forme commerciale ».
La solution de la Cour de cassation : la forme l’emporte sur le fond
La Cour de cassation censure cette analyse. Elle énonce un principe clair en combinant les articles L. 721-3,2° et L. 210-1 du Code de commerce :
« Une contestation relative à une société à responsabilité limitée relève de la compétence exclusive des tribunaux de commerce. »
Elle précise ensuite deux exceptions, et deux seulement, à cette compétence exclusive :
1. Lorsque le litige met en cause une personne non commerçante extérieure au pacte social et n’appartenant pas aux organes de la société (on pense aux arrêts Uber, Total ou Renault-Carlos Ghosn) : cette personne dispose alors d’un droit d’option entre le tribunal civil et le tribunal de commerce.
2. Lorsque le litige concerne une SARL constituée pour l’exercice d’une profession libérale réglementée sous la forme d’une société d’exercice libéral (SEL) : ces contestations relèvent alors de la compétence exclusive du tribunal judiciaire en application de l’article L. 721-5 du Code de commerce.
En l’espèce, aucune de ces exceptions ne s’appliquait : la cogérante révoquée était bien associée et membre des organes, et la société était une SARL de droit commun, non une SELARL.
Portée et implications pratiques
Une incohérence législative
La solution peut paraître incohérente : si les deux vétérinaires avaient créé une SELARL au lieu d’une SARL, le tribunal judiciaire aurait été compétent sans discussion possible. De même, si elles avaient exercé en société civile professionnelle (SCP), personne n’aurait contesté la compétence naturelle du tribunal judiciaire.
L’origine du problème réside dans la rédaction de l’article L. 721-5 du Code de commerce qui, même après la réforme opérée par l’ordonnance du 8 février 2023, ne vise que les sociétés d’exercice libéral (SEL), excluant ainsi les sociétés de droit commun utilisées par des professionnels libéraux réglementés.
Professions libérales concernées
Cette jurisprudence s’étend à toutes les professions libérales réglementées pouvant exercer en société de droit commun :
Professions techniques et du cadre de vie (les plus directement concernées) :
• Experts-comptables
• Commissaires aux comptes
• Géomètres-experts
• Conseils en propriété industrielle
• Vétérinaires
• Architectes
Pour toutes ces professions, lorsqu’elles exercent en SARL ou SAS de droit commun (et non en SEL), les litiges relèvent du tribunal de commerce, malgré le caractère civil de ces activités.
Points de vigilance
1. Pour les professionnels libéraux exerçant en société de droit commun : Cette décision confirme que le choix de la forme sociale a des conséquences procédurales importantes. L’option pour une SARL ou une SAS plutôt qu’une SEL n’est pas neutre.
2. Pour les créateurs de sociétés : Le choix entre SEL et société de droit commun doit intégrer ce critère de compétence juridictionnelle, qui peut avoir son importance selon les situations.
Vers une réforme ?
Cette jurisprudence révèle une incohérence du droit positif. Deux pistes de réforme pourraient être envisagées :
• Modifier l’article L. 721-5 du Code de commerce pour viser toute société de profession libérale réglementée, quelle qu’en soit la forme (SEL ou droit commun), et donner compétence au tribunal judiciaire.
• Supprimer la distinction entre sociétés de droit commun et SEL pour les professions libérales réglementées, ce qui harmoniserait le régime et éviterait ces incohérences.
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