De la révocation du dirigeant après conversion des obligations convertibles en actions par le fonds d’investissement : l’obligation de loyauté de la société envers son président
La Cour de cassation, dans son arrêt du 30 mars 2022 (chambre commerciale, n°19-25.794) vient de rappeler plusieurs principes applicables lors de la révocation du dirigeant de la société :
- – La société a un devoir de loyauté envers son dirigeant y compris lors de sa révocation
- – Le dirigeant personne morale peut recevoir une indemnisation en cas de révocation brutale ou vexatoire, y compris une réparation de son préjudice moral
- – La clause de non-concurrence du dirigeant prévue par le pacte d’associés doit être limitée dans le temps et l’espace et proportionnée au regard de l’objet du contrat.
Dans cette affaire, une SAS ayant une activité de conseil est dirigée par un président et un directeur général, tous deux personnes physiques. Un LBO est mis en place au profit de la SAS, avec un financement bancaire et la souscription d’obligations convertibles en actions par plusieurs fonds d’investissement. Un pacte d’associés est conclu entre les différents fonds d’investissement et les deux dirigeants personnes physiques. Quelques mois plus tard, le président personne physique est remplacé par une personne morale dont il est le gérant et l’associé unique.
Quelques années plus tard, les fonds d’investissements notifient à la SAS la conversion des obligations, devenant ainsi associés majoritaires de la SAS et détenant plus de 51% des droits de vote. Une assemblée générale est alors convoquée par les nouveaux majoritaires aux fins de révoquer le président personne morale et le remplacer le directeur général.
La révocation est votée et l’ancien président (plus précisément la personne physique représentant le président personne morale) se voit interdire, au retour de ses congés, l’accès aux locaux, à ses emails et constate le blocage de sa carte bancaire professionnelle.
La personne morale révoquée et son associé unique ont sollicité des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de la révocation brutale et vexatoire et ont contesté la clause de non-concurrence contenue dans le pacte d’associés conclu avec les fonds d’investissement.
La Cour de cassation a reconnu à la personne morale évincée un droit à réparation de son préjudice morale compte tenu des circonstances brutales et vexatoires de la révocation. Ce droit n’exclut pas le droit de la personne physique représentant la personne morale d’obtenir également une réparation de son préjudice propre.
Dans sa décision, la Cour de cassation insiste sur l’obligation de loyauté de la société dans le processus de révocation de son président. S’il existe une jurisprudence fournie de la Cour de cassation sur l’obligation de loyauté du dirigeant envers la société, la Cour de cassation, par cet arrêt, fait peser l’obligation de loyauté sur la société envers son dirigeant.
S’agissant de la clause de non-concurrence inscrite au sein du pacte d’associés, il était prévu que les dirigeants s’engageaient “pendant toute la durée de leur présence au capital de la société ou de ses filiales, à ne pas occuper, en France ou à l’étranger directement ou indirectement, de fonctions rémunérées ou non, quelle qu’en soit la nature dans une société ayant une activité concurrente à celles exercées à ce jour ou qui seraient exercées par la société ou par ses filiales pendant ladite durée, ou ayant lien avec l’activité concurrente“.
La Cour de cassation rappelle que pour être valide, une clause de non-concurrence inscrite dans un pacte d’associés doit être limitée dans l’espace, dans le temps et proportionnée aux objectifs du pacte. Dans cette affaire la clause était limitée dans le temps (la durée de présence au capital de la société et de ses filiales) mais semblait imposer une restriction mondiale.