
Conventions réglementées : le non-respect de la procédure est une faute, sans qu’il soit besoin de prouver la fraude
Contexte juridique et portée de l’arrêt
Par un arrêt du 17 septembre 2025 (n° 23-20052), la chambre commerciale de la Cour de cassation vient de rappeler avec fermeté un principe essentiel en matière de responsabilité des dirigeants : le simple non-respect de la procédure des conventions réglementées constitue, en soi, une faute de gestion, sans qu’il soit nécessaire de démontrer que le dirigeant a agi de manière frauduleuse ou dissimulée.
Cette décision s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel récent qui clarifie les conséquences du non-respect de cette procédure protectrice, fondamentale dans la vie des sociétés anonymes et des SAS. Elle rappelle aux dirigeants que le formalisme n’est pas optionnel, même lorsque la convention conclue n’a pas de caractère manifestement dommageable.
Les faits et la procédure
Le président du directoire d’une société anonyme avait mis en place, quelques années avant son départ en retraite, un compte épargne-temps via un “accord collectif” au bénéfice des salariés de l’entreprise, dont lui-même. Cette mise en place n’avait fait l’objet d’aucune autorisation préalable du conseil de surveillance, ni d’aucune ratification par l’assemblée générale.
Au moment de son départ en retraite, le dirigeant a perçu plusieurs dizaines de milliers d’euros au titre de ce compte épargne-temps. Alertés, le nouveau président du conseil de surveillance et l’actionnaire principal ont découvert que cet accord n’avait jamais été soumis à la procédure des conventions réglementées prévue par l’article L. 225-86 du Code de commerce.
La société a alors assigné l’ancien dirigeant en annulation de l’accord, en restitution des sommes versées et en dommages-intérêts. Si les premiers juges ont fait droit à ces demandes, la cour d’appel a débouté la société, au motif qu’aucune fraude ni dissimulation n’était établie, et qu’en l’absence de ces éléments, aucune faute ne pouvait être reprochée au dirigeant.
La censure de la Cour de cassation : la faute existe sans fraude
La Cour de cassation censure cette analyse en des termes sans équivoque. Elle rappelle que :
« Le non-respect de la procédure des conventions réglementées constitue, en soi, une infraction aux dispositions législatives applicables en la matière et une faute au sens de l’article L. 225-251 du Code de commerce. »
En exigeant que la faute du dirigeant inclue des caractères de fraude et de dissimulation, la cour d’appel avait ajouté une condition à la loi. Or, pour engager la responsabilité d’un dirigeant au titre de l’article L. 225-251, il suffit de constater :
• Soit une infraction aux dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes ;
• Soit une violation des statuts ;
• Soit une faute de gestion.
Le non-respect de la procédure des conventions réglementées entre dans la première catégorie. La caractérisation de la fraude ou de la dissimulation n’est donc pas nécessaire.
Portée et implications pratiques
Un rappel salutaire des fondamentaux
Cette décision rappelle que la procédure des conventions réglementées n’est pas une simple formalité administrative. Elle constitue un mécanisme de protection des intérêts sociaux contre les risques de conflits d’intérêts.
Dans une SA dualiste (avec directoire et conseil de surveillance), sont soumises à cette procédure toutes les conventions intervenant entre la société et :
• Un membre du directoire ou du conseil de surveillance ;
• Un actionnaire détenant plus de 10 % des droits de vote ;
• Une société contrôlant un tel actionnaire.
La convention doit recevoir l’autorisation préalable du conseil de surveillance (art. L. 225-86 C. com.), puis être ratifiée par l’assemblée générale sur rapport spécial du commissaire aux comptes.
Conséquences du non-respect : un arsenal complet
L’arrêt du 17 septembre 2025 s’inscrit dans une jurisprudence récente qui a clarifié les sanctions applicables :
1. La nullité facultative de la convention (art. L. 225-90 C. com.) : si la convention a eu des conséquences dommageables pour la société, le juge peut prononcer sa nullité et ordonner les restitutions.
2. La responsabilité civile du dirigeant (art. L. 225-251 C. com.) : même si la convention est approuvée a posteriori par l’assemblée, le dirigeant peut voir sa responsabilité engagée pour avoir négligé la procédure, comme l’a confirmé un arrêt du 18 décembre 2024.
3. Le cumul des sanctions : nullité ET responsabilité peuvent se cumuler, la première visant à effacer les effets de la convention, la seconde à indemniser le préjudice subi.
Points de vigilance pour les dirigeants
1. Identifiez systématiquement les conventions réglementées : Toute convention dans laquelle un dirigeant ou un actionnaire important est directement ou indirectement intéressé doit alerter. L’intérêt indirect est largement entendu.
2. Le formalisme est obligatoire, pas optionnel : Même si la convention vous semble équitable ou conforme à l’intérêt social, le non-respect de la procédure constitue une faute. La bonne foi ou l’absence d’intention frauduleuse ne vous exonère pas.
3. Les comptes épargne-temps sont concernés : Cet arrêt le confirme : les avantages sociaux dont bénéficient les dirigeants, même s’ils sont également ouverts aux autres salariés, peuvent relever des conventions réglementées.
4. Documentez et tracez : Face au risque de contentieux différé (sous réserve de la prescription), conservez la trace de toutes les autorisations et ratifications obtenues.
5. Attention aux sociétés devenues SAS : Même si votre société était une SA au moment des faits et est devenue SAS entre-temps, les règles applicables au moment de la conclusion de la convention continuent de s’appliquer au contentieux.
Conclusion : une faute “technique” aux conséquences patrimoniales
Cet arrêt rappelle que le droit des sociétés sanctionne la violation de ses règles de procédure, indépendamment de toute intention malhonnête. Le dirigeant qui “oublie” de soumettre une convention à la procédure réglementée commet une faute technique qui peut avoir des conséquences patrimoniales lourdes : annulation de la convention et restitution des sommes perçues, voire condamnation à des dommages-intérêts.
Dans un contexte où la jurisprudence durcit progressivement le régime de responsabilité des dirigeants, cette décision est un signal fort : le respect des formes n’est pas accessoire, il est au cœur de la bonne gouvernance.
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Le cabinet LACOME D’ESTALENX MARQUIS intervient dans les domaines du droit des sociétés (corporate), des fusions-acquisitions et des opérations assimilées (opérations de haut de bilan notamment) ainsi qu’en contentieux des affaires. Nous conseillons des personnes physiques (chefs d’entreprises, cadres dirigeants, investisseurs, actionnaires …) et des entreprises françaises et étrangères, dans l’ensemble de leurs procédures précontentieuses et contentieuses ainsi que leurs procédures de voies d’exécution.
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