Action sociale ut singuli : la Cour de cassation précise les droits des associés

Action sociale ut singuli : la Cour de cassation précise les droits des associés

Contexte juridique et portée des arrêts

Par une série de décisions récentes, la chambre commerciale de la Cour de cassation a renforcé l’efficacité de l’action sociale ut singuli, l’outil permettant à un associé d’agir en justice pour obtenir réparation d’un préjudice subi par la société elle-même. Ces arrêts, rendus entre septembre 2024 et mai 2025, assouplissent les conditions de recevabilité de l’action et en étendent le champ d’application.

1. La fin du caractère purement subsidiaire de l’action (Cass. com., 7 mai 2025, n° 23-15.931)

Traditionnellement, l’action ut singuli était considérée comme subsidiaire : un associé ne pouvait agir que si la société, via ses dirigeants, restait inactive. Un arrêt du 7 mai 2025 a opéré un revirement sur ce principe.

• Les faits : Une nouvelle gérante de SARL avait engagé une action en responsabilité contre l’ancienne dirigeante (action ut universi). Simultanément, des associés minoritaires avaient engagé leur propre action pour les mêmes faits (action ut singuli). La cour d’appel avait jugé leur action irrecevable en raison de l’action déjà menée par la société.

• La décision : La Cour de cassation censure cette analyse. Elle affirme que les associés sont investis d’un “droit propre d’agir” et que ce droit “n’est pas affecté par l’exercice concomitant de son action par la société”.

• Portée : Il est désormais possible pour des associés d’engager une action ut singuli même si la société a déjà engagé sa propre action ut universi. Cela permet notamment de pallier une action de la société qui serait jugée trop timorée, incomplète, ou, comme en l’espèce, potentiellement prescrite alors que le délai de prescription n’aurait pas encore couru pour les associés qui n’ont eu connaissance des faits que plus tardivement.

2. La survie de l’action malgré la perte de la qualité d’associé (Cass. com., 25 sept. 2024, n° 23-12.855)

Une autre décision importante a sécurisé la position de l’associé qui agit en justice.

• La question : Que se passe-t-il si l’associé qui a initié l’action ut singuli cède ses titres et perd sa qualité d’associé en cours de procédure ?

• La décision : La Cour de cassation a jugé que l’action se poursuit. Les conditions de recevabilité, y compris la qualité d’associé, s’apprécient au jour de l’introduction de l’instance. La perte ultérieure de cette qualité est sans incidence sur la poursuite de l’action.

• Portée : Cette solution protège l’associé diligent et empêche une manœuvre qui consisterait, pour le dirigeant mis en cause, à faire racheter les titres du demandeur pour tenter de faire éteindre l’action.

3. L’action contre le liquidateur amiable : un rappel à l’ordre procédural et une ouverture en filigrane (Cass. com., 9 juill. 2025, n° 24-14.565)

L’apport principal et certain de cet arrêt est un rappel de l’orthodoxie procédurale : l’action sociale ut singuli est irrecevable si la société n’est pas régulièrement mise en cause dans l’instance, conformément à l’article R. 225-170 du Code de commerce 

• En l’espèce, l’actionnaire avait assigné le liquidateur amiable personnellement, mais avait omis de mettre en cause la société elle-même, ce qui a conduit au rejet de son pourvoi.

• Cependant, l’intérêt de la décision réside dans ce qu’elle ne dit pas. La jurisprudence antérieure était majoritairement opposée à l’exercice de l’action ut singuli contre le liquidateur amiable. Or, ici, la Cour de cassation ne rejette pas l’action sur ce fondement de principe. Elle se contente de sanctionner le vice de procédure.

• L’analyse a contrario : le fait que la Cour fonde sa décision d’irrecevabilité uniquement sur l’absence de mise en cause de la société est significatif. Ce raisonnement, dit a contrario, laisse la porte ouverte à une future reconnaissance de l’action ut singuli contre le liquidateur, à condition que les règles de procédure soient scrupuleusement respectées 

• Portée réelle : Il est crucial de noter qu’il ne s’agit pas (encore) d’un revirement de jurisprudence. La solution antérieure n’est pas expressément abandonnée. L’arrêt est donc plus un indice ou une “esquisse de revirement” qu’une consécration. Il signale une possible évolution, mais la prudence reste de mise en attendant une confirmation explicite.

En conclusion, ces trois arrêts témoignent d’une volonté claire de la Cour de cassation de faire de l’action ut singuli un instrument de “police” sociétaire robuste et efficace, en levant plusieurs obstacles procéduraux qui pouvaient auparavant en paralyser l’exercice.

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Le cabinet LACOME D’ESTALENX MARQUIS intervient dans les domaines du droit des sociétés (corporate), des fusions-acquisitions et des opérations assimilées (opérations de haut de bilan notamment) ainsi qu’en contentieux des affaires. Nous conseillons des personnes physiques (chefs d’entreprises, cadres dirigeants, investisseurs, actionnaires …) et des entreprises françaises et étrangères, dans l’ensemble de leurs procédures précontentieuses et contentieuses ainsi que leurs procédures de voies d’exécution.

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